La transatlantique – Du 9 novembre au 27 novembre 2016

La transatlantique – Du 9 novembre au 27 novembre 2016

Voile, Voyage

Bien arrivés à la Barbade après 18 jours ! Pour cette looooooongue traversée de 2022 milles, j’ai repris un récit journalier façon carnet de bord. Je vous livre ici mes notes prises chaque jour ; d’ailleurs en me relisant je m’aperçois qu’il y a des choses très personnelles, mais je ne vais pas tricher alors vous trouverez mes émotions à l’état brut, sans fard ni artifice.

Jour 1 (9 novembre) – Les premiers bateaux du rallye quittent le port de Mindelo dès 9 h. Nous sommes tous un peu émus : les « Bon vent ! » et « Bonne route ! » fusent sur les pontons. Nous finissons les rangements et quelques courses, et attendons Jacques et Jacqueline. Ils ont enfin pu récupérer leurs bagages à l’aéroport (au bout de 5 jours !) et nous ramènent le manuel d’Espagnol pour Mathilde ! J’ai un pincement au cœur de quitter Mindelo ; je n’ai pas eu le temps d’aller voir l’expo sur Césaria Evora ni de faire un tour dans les galeries d’artistes locaux. J’aurais aimé flâner encore dans les ruelles, m’étonner devant l’architecture, sourire aux marchandes de bananes et de poissons au coin des rues. Reviendrai-je un jour ici ? Jacques et Jacqueline arrivent : petite séance photos avec nos beaux tee-shirts juste avant le départ, j’y tiens ! A 12h30 nous larguons les amarres. J’essaie de me convaincre que c’est une traversée comme les autres, et advienne que pourra ! A peine sortis de la marina, il y a 25 nœuds de vent, rafales à 30, ça décoiffe ! Le ciel est tout gris et la mer agitée. Je pense à Jacqueline si inquiète et émue sur le quai qui nous souhaitait du bon vent et une belle mer… si elle savait ! La houle nous prend sur le côté et le vent n’est pas bien établi et tourne sans cesse, nous obligeant à faire pas mal de manœuvres, avec parfois de brusques trous d’air. On met le moteur une fois, deux fois, tout va bien. Mais à la troisième fois, il ne « crache » plus. En jargon de marin, cela veut dire que l’eau ne passe plus dans le circuit de refroidissement et ce n’est pas bon du tout ! Sébastien doit encore une fois ouvrir le moteur et réamorcer la pompe, en buvant un peu d’eau de mer au passage… Pendant ce temps-là les filles qui attendaient leurs pâtes sont prises par le mal de mer. 1, 2, 3 malades, puis 4 avec Seb ; je résiste mais j’ai le cœur au bord des lèvres. Chaque fois qu’on reste un moment au port, il faut se réamariner. Puis survient un nouveau problème : la drisse de grand voile lâche. Seb avait refait le nœud avant de partir pourtant, mais parfois le mieux est l’ennemi du bien… Il enrage, il va devoir monter au mât mais il fait déjà nuit, alors il faut remettre ça au lendemain.

Jour 2 (10 novembre) – Dès 8 h Seb monte au mât pour en avoir le cœur net, espérant pouvoir récupérer la drisse. Il y a de la houle et je tremble à la barre en le regardant monter. Pas de chance, l’attache de la drisse est descendue dans le mât, impossible de la récupérer. Que faire ? Demi-tour à Mindelo ? Seb a l’idée de remplacer la balancine, que l’on utilise pas et qui passe dans le mât, par la drisse : et ça marche, la drisse est récupérée et on peut renvoyer la grand voile ! Ouf ! La mer est bien formée et le vent monte. Je n’ose pas demander à Seb la taille des creux, de peur d’impressionner les filles, mais il y a bien 3 à 4 mètres je présume. On prend quelques éclaboussures dans la tête, ça « éclamousse » comme dit Maëlle ! Le bateau bouge beaucoup, c’est vraiment inconfortable. La moindre tâche nous prend un temps infini car il faut tout tenir, tout caler pour ne pas que ça se renverse. On est au ralenti. La nuit se passe sur le même rythme, avec quelques belles déferlantes en prime. Je ne peux pas dire que j’ai peur ou que je ne m’y attendais pas, mais ça démarre fort quand même !

Jour 3 (11 novembre) – Nous avons une pensée pour Nolhan ! Jour férié et week-end prolongé, je me demande ce que vous faites en France ou en Belgique : une ballade en forêt ? un vide-grenier peut-être ? Les filles commencent à être moins malades et peuvent jouer un moment à l’intérieur. Je me sens vidée, j’ai envie de dormir tout le temps.

Jour 4 (12 novembre) – Super nouvelle aujourd’hui, nous recevons un SMS d’Aude et Benjamin sur l’iridium : leur petit Léopold est né ! C’est beau quand même la technologie ! Maskali avance bien mais il y a toujours cette houle qui nous fatigue. Nous avons déjà parcouru 400 milles nautiques. Un mille équivaut à 1,852 km. Chaque jour, Seb inspecte le bateau pour vérifier si tout va bien et traque le moindre bruit suspect. Par exemple à 5 h du matin il revisse les boulons du pilote automatique ! Mon père reste imperturbable et d’humeur égale, à la barre comme à la vaisselle ! Toujours pas la moindre lueur à l’horizon, pas vu de dauphins ni de baleines, nous sommes vraiment seuls au monde. Seuls les poissons volants animent notre route.

Jour 5 (13 novembre) – Depuis notre départ, le temps est resté maussade et nuageux. Ce matin il y a une éclaircie et le soleil semble pointer son nez ! Les filles sont amarinées maintenant et nous reprenons une vie « normale » avec les cours du CNED, la cuisine, les bricolages, etc. Eléa et Maëlle ont même fabriqué des bouchées en chocolat façon « Kinder joy » ! Côté voile, la mer s’est un peu calmée mais le vent a baissé aussi. Seb et papa essayent de régler les voiles au mieux pour garder de la vitesse tout en tenant le cap, mais nous devons parfois dévier de notre route pour que le bateau avance.

Jour 6 (14 novembre) – Belle journée ensoleillée avec une mer peu agitée mais pas beaucoup de vent. Seb met le spi tout l’après-midi. Les filles se sont lancées dans la confection de gaufres. Elles parlent beaucoup du retour en France, ça aide à passer le temps et c’est sans doute une manière de se rassurer aussi. Mathilde rêve de manger des crêpes à « La Sorcière » (une crêperie à Arzon où nous allons chaque été) et réfléchit à la déco de sa future nouvelle chambre. Eléa pense à ses copines et à ses activités. Maëlle parle beaucoup de l’école, de sa maîtresse Valérie, d’aller jouer chez Ernest et d’aller à la bibliothèque en trottinette ! A 3h30 durant mon quart, j’aperçois une lueur à l’horizon ! Enfin ! C’est incroyable la joie soudaine que cela me procure même si c’est complètement idiot. Est-ce un bateau du rallye, un paquebot, ou bien un bateau du « Vendée Globe », qui sait ? Les lumières se rapprochent assez vite, finalement il s’agissait d’un porte-conteneur qui passe juste derrière nous.

Jour 7 (15 novembre) – J’éprouve une grande lassitude. Est-ce dû à la nouvelle routine qui s’installe à bord, ou au contraire à l’incertitude du lendemain : comment sera la mer, le vent, est-ce qu’on ne va rien casser ? Ou simplement le manque de sommeil réparateur ? Encore 12 jours au moins sur ce rythme, je réalise que ça va être terriblement long. Moi qui aspirais à retrouver une certaine paix intérieure, me voilà en proie à un tourbillon de pensées négatives et de doutes, de remises en questions. C’est dur d’être confronté à soi-même sans échappatoire possible. Durant mes quarts de nuits j’essaye de procéder à une sorte d’introspection. La nuit et la solitude sont propices à faire le point sur mes envies, mes actes manqués, ce que je voudrais changer dans ma vie. Beaucoup de choses enfouies remontent à la surface. Des larmes coulent sur mes joues, minuscules gouttes salées dérisoires face à l’immensité de l’océan. Je songe aux jolis mots de Gisèle : « Il y aura toujours le haut de la vague », et je m’y accroche. Aller au bout de l’océan et au bout de soi-même équivalent sans doute à 10 ans de thérapie chez un psy !

Jour 8 (16 novembre) – Mon trouble de la nuit s’est dissipé… Je sais que j’avance dans la bonne voie pour renouer avec mes aspirations profondes. De nouveaux projets germent dans mon esprit… A mille lieues de ces préoccupations, Eléa est complètement absorbée par Noël : elle confectionne une crèche avec des bouchons de liège, à la faveur d’une idée de bricolage trouvée dans Astrapi. Moi qui pensais que cette année nous allions échapper à la frénésie de Noël ! Il n’y a pourtant pas de catalogues de jouets qui débordent de la boîte aux lettres ni de sollicitations extérieures… Elle a même fait sa liste au père Noël qui est scotchée dans sa cabine !

Jour 9 (17 novembre) – Les jours se suivent et se ressemblent. Ce matin on aperçoit un voilier devant nous mais il ne répond pas à la VHF, on ignore si c’est un bateau du rallye. Nous essayons de passer entre les « grains », c’est-à-dire de gros nuages sombres chargés de pluie et annonciateurs de grand vent. Il faut être attentif pour ne pas risquer d’abîmer les voiles, car le vent peut passer brusquement de 10 nœuds à 30 nœuds ! Moi je ne serai pas contre une bonne pluie pour pouvoir me doucher !

Jour 10 (18 novembre) – Ca y est, nous sommes à la moitié du parcours ! Nous sommes passés en dessous des 1000 milles… C’est bon pour le moral ! Cet après-midi nous sommes au vent arrière avec grand voile déployée et génois tangonné, et nous pouvons suivre notre cap. Depuis le départ nous sommes fréquemment obligés de tirer des bords, ce qui prend plus de temps car on avance en zigzague vers le Nord puis le Sud, au lieu de suivre une route directe. Quelques-uns nous en ont fait la remarque par texto. Rassurez-vous, nous n’abusons pas du rhum à bord ! Il faut s’accommoder du vent. Il faut s’accommoder de tout d’ailleurs ! Du vent mais aussi de la mer, de la houle, des mouvements du bateau, de l’humeur de l’équipage… Apprendre à patienter et à accepter ce qui vient, car nous n’avons de toutes façons aucune prise sur la météo. Exercice difficile pour moi, qui aime bien maîtriser les choses…

Jour 11 (19 novembre) – Pour marquer cette première moitié du parcours, nous avons préparé avec Eléa un message dans une bouteille à la mer. Je sais, je suis un peu trop romantique, mais imaginez qu’un enfant retrouve notre bouteille échouée sur une plage dans un an ou même dans dix ans, qui sait ? Ca me ferait tellement plaisir qu’il nous contacte et qu’on sache où la bouteille a atterri ! Les filles sont aussi enthousiastes que moi et se disputent la faveur de la jeter à l’eau… C’est finalement Eléa qui la lance, et nous la regardons voguer.

Jour 12 (20 novembre) – Une pensée pour Sylvie ! Chaque mille est difficilement gagné et la route me semble interminable… 8 jours encore sans doute… On sait que les premiers bateaux du rallye sont arrivés à la Barbade. Je suis envieuse !

Jour 13 (21 novembre) – Avant de partir, j’avais une vision un peu naïve et romantique de la traversée, je m’imaginais me sentir libre sur mon beau voilier toutes voiles dehors, fendant les vagues. En fait j’éprouve au contraire un sentiment d’enfermement comme je n’ai jamais connu auparavant. Je ne m’explique pas bien pourquoi d’ailleurs.

Jour 14 (22 novembre) – Comme chaque matin, j’allume l’iridium pour envoyer notre position et je consulte les messages. C’est toujours un immense plaisir, doublé d’une grande frustration car la plupart des messages sont coupés et nous ignorons les expéditeurs car le numéro ou le mail n’apparaissent pas. Le jeu consiste donc à deviner, à travers l’écriture, la provenance de chaque message ! Merci en tout cas, ça fait chaud au cœur ! Et désolée de ne pas avoir pu vous répondre… Nous ne savons pas comment remédier à ce problème, il semblerait qu’on soit en fait limité à 70 caractères, espaces compris : il faut faire court !

Jour 15 (23 novembre) – Plus qu’un quart de la route ! En fin d’après-midi le vent tombe complètement, on passe au moteur. Maëlle se remet de 4 jours de fièvre. J’ignore ce qu’elle a eu. Quelques petits boutons sont apparus sur son torse aujourd’hui, me faisant penser à la roséole, mais cela pourrait aussi bien être des boutons de chaleur. En tout cas nous sommes soulagés que ce soit passé.

Jour 16 (24 novembre) – On repasse à la voile. Les journées passent vite et lentement à la fois, rythmées par les quarts et la préparation des repas. D’abord on fait la provision d’eau le matin avec le dessalinisateur, puis on confectionne le pain : pétrir, laisser reposer, pétrir de nouveau, laisser lever, puis mettre au four. Je cuisine beaucoup avec les filles, ça passe le temps, ça occupe les mains et l’esprit, et les bons petits plats tout comme les gourmandises contribuent au moral de l’équipage ! Cookies, gaufres, gâteaux, crêpes… rien ne nous arrête ! J‘ouvre la carte « joker » donnée par Cécile avant de partir, celle à ouvrir seulement en cas de coup de blues… J’ai le cœur qui bat plus fort en déchirant l’enveloppe, et le sourire qui vient aux lèvres en la lisant. Quelle délicate attention. Tu, Vous, me manquez terriblement mais je pense aussi très fort où jour on l’on se retrouvera, on aura tellement de choses à se raconter !

Jour 17 (25 novembre) – Au lever du soleil, ça mord ! Une première touche décroche, de toutes façons Seb n’arrivait pas à la remonter. La 2e touche est la bonne ! Nous n’avons pas identifié ce poisson, mais il était très bon ! Ca tombait à point car nos vivres ont sérieusement diminué et je me demandais que faire à manger pour midi. En fin d’après-midi on attrape un beau thon ! C’est notre jour de chance ! En fait on n’avait pas mis les lignes jusqu’à présent car on traînait le bout et l’hélice de l’hydrogénérateur.

Jour 18 (26 novembre) – La matinée est occupée à la confection de sushis au thon ! Malgré les cours de Kelly à Ténérife, on galère un peu ! Kelly est la directrice de la chaîne « Sushi Daily » et elle fait partie du rallye, vous y croyez ? Bref, autant dire une pro ! Après avoir tout préparé, une vague traitresse fait valdinguer une assiette, argh ! Bon, la présentation n’est pas au top mais on se régale quand même. L’après-midi je fais des crêpes avec les deux œufs qui me restent. Si tout va bien, on devrait arriver demain. Depuis hier soir nous avançons au moteur car il n’y a pas de vent (mais quand même de la houle, un comble !). On n’a pas vraiment eu de chance avec les alizés, dommage. Les puristes diront qu’il faut attendre le mois de décembre pour trouver les alizés. Je crois surtout que c’est le hasard ou la chance, et que les marins ne sont jamais satisfaits de la météo ! Moi je suis surtout soulagée de ne pas avoir eu à affronter de tempête, et de n’avoir rien de cassé sur le bateau. En fin de journée on s’offre une douche avec un pulvérisateur et c’est divin ! Nous n’avons plus d’eau douce dans notre réservoir, il est temps qu’on arrive. On aura quand même tenu 18 jours à 6 avec 350 litre d’eau. Savez-vous que 350 litre, c’est la consommation journalière moyenne par personne dans les pays industrialisés ? Dernier quart de nuit… Celui-ci a une saveur particulière. Dernière ligne droite, j’ai du mal à réaliser que nous touchons presque au but. Dans quelques heures nous apercevrons la Barbade pour de vrai et pas seulement sur la carte. Quelques heures encore et nous pourrons marcher sur la terre ferme !

Jour 19 (27 novembre) – Nous souhaitons en pensée un très joyeux anniversaire à Thomas ! Mes trois filles chéries n’ont pas oublié ma fête et m’ont préparé un cadeau surprise avec carte, marque-page et dessin. Double cadeau car c’est aujourd’hui que nous arrivons à la Barbade (c’est le GPS qui le dit !). Les filles ne tiennent plus en place et ont hâte de retrouver leurs copains et copines du rallye. Les adultes sont aussi impatients je dois dire ! L’après-midi semble interminable. A 17 h enfin on arrive au port de Bridgetown, accueillis par Jimmy Cornell et sa fille Doïna, ainsi que Pascale et Pascal. Le soir on ouvre le champagne, celui offert par Chantal et Jean-Pierre lors de la fête à Port-Leucate : « Vous l’ouvrirez à la Barbade ! » Voilà, c’est chose faite ! Nous trinquons à votre santé à tous, famille, amis, et vous remercions pour votre soutien. We did it !!!

L'équipage sur le départ
L’équipage sur le départ
Eléa prend son père en photo en haut du mât
Eléa prend son père en photo en haut du mât
Préparation de bouchées au chocolat blanc et noir
Préparation de bouchées au chocolat blanc et noir
Notre bouteille à la mer
Notre bouteille à la mer
Coucher de soleil sur l'Atlantique
Coucher de soleil sur l’Atlantique
Arc-en-ciel entre les cumulus
Arc-en-ciel entre les cumulus
Nos sushis au thon fraîchement pêché !
Nos sushis au thon fraîchement pêché !
Le dernier jeu de Maëlle avec sa poupée Juliette
Le dernier jeu de Maëlle avec sa poupée Juliette