Dans un point presse à Horta, je suis tombée sur ce hors-série de Voiles et Voiliers. Pour nous c’est un peu tard, mais j’ai quand même envie de le lire. Le titre accrocheur me fait sourire, car pour moi une année sabbatique est tout sauf un examen : on ne peut pas la réussir ou la rater, on la vit tout simplement, avec ses grandes joies et ses petits désagréments (ou inversement !). L’enjeu n’est pas tant de réussir que d’oser. C’est facile a posteriori de dire qu’il suffit de le décider et de se lancer… Je suis bien placée pour savoir qu’avant de partir, mille doutes vous assaillent en permanence. Il y aura toujours des sceptiques pour tenter de vous dissuader de partir. Combien de fois n’avons-nous pas entendu : « N’est-ce pas dangereux ? » Pas plus dangereux que de prendre la rocade ou le périphérique tous les jours… si le bateau est bien préparé et si le capitaine maîtrise sa monture, conditions indispensables. Alors à tous les candidats au départ qui hésitent encore, je dirais que ça en vaut dix mille fois la peine. Vous ne regretterez jamais d’avoir tenté l’aventure, mais à l’inverse vous risquez de regretter plus tard de ne pas l’avoir fait quand il était encore temps. Le système français offre aux salariés la chance incroyable de pouvoir prendre un long congé tout en retrouvant son travail à l’arrivée, alors pourquoi ne pas saisir cette opportunité ? Pouvoir s’offrir une parenthèse de liberté au moins une fois dans sa vie est un luxe inouï. Ralentir, prendre le temps de faire ce qui nous plaît, partager du temps avec son conjoint et ses enfants, aller à la rencontre de soi-même aussi… Que ce soit en bateau ou à vélo, que ce soit très loin ou au fond de son jardin, l’expérience sera belle et enrichissante. Il n’y a pas forcément besoin d’aller au bout du monde pour s’évader de son quotidien et faire ce qui nous tient à cœur.

Alors, avons-nous « réussi » notre année sabbatique ? Vous vous doutez que la réponse est : oui. Pour avoir un avis objectif, il faudrait laisser la parole à chacun d’entre nous, mais je vais commencer par parler en mon nom. Si je regarde la liste de mes envies établie il y a quelques mois, je crois que j’ai presque tout réalisé, et bien au-delà. C’est déjà quelque chose d’exceptionnel. J’ai l’impression d’avoir vécu plus intensément durant un an que pendant les quarante années passées, tous les sens exacerbés par la nouveauté, la force et la beauté de la nature, les éléments bruts, les rencontres. J’étais comme traversée par une urgence à vivre, pleinement, au présent, à saisir au vol les moments de bonheur. Mais il m’aura fallu du temps pour arriver à lâcher-prise, beaucoup de temps, et ce n’est pas acquis à jamais pour moi, j’ai encore du chemin à faire… Les quelques instants de grâce glanés de-ci delà sont précieux. Je n’avais pas lu autant de livres depuis très longtemps, un vrai bonheur ! Si je n’ai pas réussi à dessiner comme je l’espérais ni à faire le carnet de voyage dont je rêvais, la photographie et l’écriture du blog ont été une vraie révélation. Le blog, c’est finalement lui mon carnet de route. Il a également été un lien très fort avec vous, lecteurs, un lien avec la Terre alors que nous étions loin, si loin… Je ne compte pas les longues soirées et les nuits écourtées pour trier les photos, écrire puis mettre en ligne mes articles… avec au bout, le plaisir immense de lire vos commentaires. Nul doute que votre enthousiasme et vous encouragements ont été pour beaucoup dans la réalisation de ce blog. Un grand merci à vous pour tout cela.

Du côté des filles, je les ai vu grandir et se métamorphoser, et ç a c’est une chance incroyable. Plus de liberté et d’autonomie leur ont donné des ailes, chacune à leur manière. Si les chamailleries font toujours partie du quotidien, une vraie complicité s’est nouée entre elles, je dirais même une certaine forme de solidarité durant les longues traversées. Elles ont eu du temps pour lire, écrire leur carnet de voyage, dessiner, faire des activités manuelles, collectionner des coquillages, observer la nature… L’ennui parfois a joué également un rôle positif, celui de développer leur imaginaire, en inventant des jeux et des activités. Elles n’ont jamais été malades (excepté trois pics de fièvre pour Maëlle, sans doute dus à des pics de croissance). Mathilde, d’un naturel flegmatique et contemplatif, s’est laissée porter sans être trop bousculée je crois ; elle est sortie peu à peu de sa chrysalide et s’est transformée en jeune fille. C’est dommage par contre qu’elle ait trouvé peu d’amies de son âge parmi les autres équipages. Eléa s’est découvert une vraie passion pour la photographie et l’observation des cétacés ; qui sait, peut-être la naissance d’une vocation ? Maëlle m’étonne tous les jours par ses facultés d’adaptation au milieu marin et la façon dont elle s’approprie le jargon maritime. Elle a développé un sens de l’observation très fin de son environnement et de la nature qui l’entoure. Elle est animée d’une grande curiosité.

Des points négatifs il y en a eu aussi, il ne faut pas les occulter, mais la balance penche nettement  du côté positif. Nous aimons cette vie simple, sans artifice, où l’on se recentre sur l’essentiel. Une vie bien moins compliquée que celle des terriens, faite de règles à suivre, d’interdits, de pressions et d’obligations. Coupés de l’actualité, nous ne sommes plus noyés sous un flot continu d’informations, et c’est très reposant pour l’esprit. Nous ne subissons plus de sollicitations commerciales perpétuelles. Nous aimons cette vie plus proche de la nature, plus saine, sans horaires imposés, moins contraignante. La contrepartie, c’est un confort moindre, c’est la nécessité d’être débrouillard, de faire tout par soi-même (tour à tour maman, enseignante, boulangère, cuisinière, lavandière, infirmière, équipière…), mais cela apporte aussi de grandes satisfactions. Le voilier reste un des moyens de transport le plus économique et écologique pour voyager loin. Nous aimons cette vie ponctuée de rencontres. La voile a ceci de particulier qu’elle lève les barrières sociales ; en mer on est tous logés à la même enseigne. La passion commune pour la voile ou le voyage facilite les échanges. Les enfants ont aussi cette faculté de rompre la glace très vite, ils comprennent d’emblée qu’il faut profiter du moment présent, car ces rencontres peuvent être très brèves. La vie en bateau est faite de séparations puis de retrouvailles avec les « bateaux-copains » ! Nous aimons cette vie de nomade, aller de découvertes en découvertes, toujours prêts à lever l’ancre vers de nouveaux horizons. Je finirai sur cette citation de Nicolas Bouvier : « La vérité, c’est qu’on ne sait pas comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »

Maintenant que nous y avons goûté, cela sera difficile de s’arrêter. Un rêve accompli ouvre la voie vers d’autres rêves… Un jour, on repartira.

15 Comments

  • Celine Arthur et Will

    Un grand merci, Séverine, de nous avoir fait partager votre « expédition » et votre rêve, un beau bilan pour une longue année au final si vite passée. Nul doute que cette expérience vous aura profondément changés et touchés …
    Bon courage pour le retour à la réalité « terrienne » profitez à fond de ces derniers moments et emmagasinez encore encore et encore des images odeurs lumières pour tenir au retour en attendant le prochain voyage !

  • Dit autrement:
    « C’est pas l’homme qui prend la mer
    C’est la mer qui prend l’homme,

    Dès que le vent soufflera
    Je repartira
    Dès que les vents tourneront
    Nous nous en aillerons »

  • La parenthèse de liberté, voilà qui fait écho très fort en moi.
    Au grand plaisir de vous retrouver et d’échanger avec toi en particulier.
    Ne pressons pas le pas à terre.
    Des bises.

  • Alexis

    Bonjour à tous,
    Merci Séverine, encore et toujours, parce que c’est très émouvant et très touchant de partager cette aventure qui boucle, au travers de ce blog-journal.

    Nous sommes, de notre côté, en train de préparer le dernier numéro d’1jour1actu et sa sent un peu les vacances. Ce sera sans doute plus facile pour vous, les enfants, d’arriver au début des grandes vacances.

    J’ai lu avec intérêt le post d’Éléa sur les cétacés, bravo tu écris merveilleusement bien ! Nous avions bouclé l’année passé l’hebdo avec toi en couverture, nous voudrions, si tu es d’accord, faire une brève sur le poster et annoncer ton retour (une année sur l’eau !).
    Si c’est ok, envoyez-nous éventuellement une photo qui pourrait symboliser ou résumer ou sublimer cette aventure.

    Entre nostalgie et impatience, profitez bien de ces derniers moments avant le retour !

  • Mamie Nicole

    Papy n’arrive pas à envoyer son commentaire. Donc le le recopie sur mon iPad.

    Comme disait Platon ou Aristote
    « Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer ».

    Mamie qui a des lettes dit que cette phrase est d’Aristote.

    « Homme libre toujours tu chériras la mer » Baudelaire.

    Tous mes vœux pour affronter les réalités de la vie à terre qui ne restera qu’une escale, qu’une escale prolongée.
    Bises à tous.

    Papy

  • COLIN MARINA

    Séverine, tes témoignages simples et sincères me procurent souvent des émotions!
    Quel plaisir j’aurai d’échanger avec toi bientôt,

  • Thabuis

    Un grand merci pour tout ces magnifique moment partager.
    Vous nous avez fait rêver.
    J’espère suivre votre sillage.

    Bon retour sur terre.

    Patrick

  • Isa

    Comme toujours Sév, tu as su trouver les mots pour exprimer tout ce que ce voyage aura eu de positif sur toi et sur les filles. J’ai hâte de connaître aussi le témoignage de Seb à votre retour. Vous avez tous grandi ensemble et vous ne serez, après cette très belle aventure, plus tout à fait les mêmes. Ce contact avec la nature et ce décrochage du flux perpétuel d’infos, je crois que l’on en tous besoin. Vous, ça a été la mer, votre élément. A chacun de trouver le sien et le moment où il est prêt, car ce n’est pas, comme tu le l’écris si bien, aussi facile que ça que de lâcher prise.
    On vous embrasse bien fort
    Isa, Pat, Luc et Lise

  • Sarah

    Coucou Sev,
    il me tarde de pouvoir échanger avec toi sur le sujet… Je suis vraiment contente pour vous que cette expérience ait été si forte et enrichissante. Et je vous souhaite de pouvoir recommencer encore et encore dès que possible !
    Gros bisous à vous 5 et à très bientôt !
    Sarah

Répondre à Alexis Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *