Nous sommes bien arrivés à Horta, après 17 jours de mer. Retour sur cette belle traversée… Lundi 8 mai nous récupérons notre génois en fin de matinée, bien recousu. Sébastien a aidé le couturier chez le maître voilier pour finir. L’après-midi nous finissons de préparer le bateau et allons à la douane faire la « clearance out » et payer le port. Au passage nous achetons deux jerricans de gazoil supplémentaires, au cas où. Nous larguons les amarres peu avant 18 h, et assistons à un magnifique coucher de soleil. La météo avait prévu zéro vent, mais il y a finalement une petite brise qui nous permet d’avancer à la voile. La première nuit se passe très bien, même si je lutte pour rester éveillée durant mon quart, de 2 h à 5 h. La pleine lune m’accompagne. Notre escale aux Bermudes s’est avérée bien agréable (après notre déconvenue avec la douane en arrivant !) et ce n’est pas facile de reprendre le large, ça a cassé le rythme. Je sais que nous allons être de nouveau vaseux et léthargiques durant 2 ou 3 jours, le temps de nous réamariner. Au matin, vers 9 h, un groupe de dauphins s’approchent du bateau et restent jouer à l’étrave. Quelle fête ! Nous les attendions avec impatience ! Le peu de vent retombe, il faut mettre le moteur. Il y a une houle large qui fait tanguer le bateau, c’est assez inconfortable. Les jours passent et se ressemblent, une routine s’installe avec nos quarts. Toutefois, chaque journée est différente selon le vent et la mer, et influe sur notre comportement, nos émotions. Nous sommes à la merci de ces deux éléments. Ciel dégagé, mer calme et brise régulière : c’est la sérénité ; Maskali file et nous sommes confiants. Des nuages sombres, des grains qui se profilent à l’horizon, et nous sommes sur nos gardes : il faut surveiller l’anémomètre et réduire la voilure pour ne rien casser. La météo est à la fois notre alliée et notre ennemie. Le 5e jour, nous devons passer deux fronts de perturbation successifs. Durant la nuit l’anémomètre s’affole, il y a des rafales jusqu’à 43 nœuds. On prend de la pluie et des paquets de mer dans la figure. Sébastien est toujours sur le pont, sur le qui-vive, il veille. Là, nous nous sentons plus vulnérables : nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes et sur Maskali, si vaillant, qui affronte les vagues sans sourciller. C’est notre bulle, notre refuge, notre cocon qui nous protège des assauts de la mer et du vent. Retour au calme, sérénité retrouvée, le plus dur est passé : le soleil pointe son nez et réchauffe nos habits trempés et nos corps éprouvés. Vivre en mer, c’est s’adapter à tout cela, c’est être en osmose avec la nature, belle, sauvage, imprévisible. C’est se couler dans le rythme du soleil et de la lune. Même la plus belle des photographies ne traduira jamais l’intensité d’un lever de soleil à l’horizon, quand les nuages s’embrasent, quand la mer se pare de reflets dorés, quand le ciel se zèbre de rose, de violet et d’orangé, jusqu’à ce que l’astre fasse son apparition et éclaire le ciel de ses rayons. Voir se lever et se coucher la lune est également une expérience inoubliable. Et que dire de la voûte céleste, de ses milliers d’étoiles qui semblent veiller sur nous ? La mer est changeante, tour à tour impétueuse, fougueuse, alanguie… Elle nous apprend l’humilité. Au fil des jours, l’air devient plus vif et le froid se fait sentir. La nuit nous superposons les couches de vêtements : tee-shirt ou sous-pull, pull, polaire, leggins, pantalon et veste de quart, bottes, sans oublier l’écharpe et le bonnet. Et par-dessus tout cela, le gilet de sauvetage. Quel attirail ! Même la journée, nous restons souvent emmitouflés. A l’intérieur du bateau, tout devient humide. A partir du 10e jour, nous voyons beaucoup de dauphins, presque tous les jours et même plusieurs fois par jour. Parfois juste de passage, d’autres fois joueurs, ils nous accompagnent un moment, nous offrant quelques sauts spectaculaires. Nous avons également  eu la chance d’apercevoir d’autres mammifères marins : un cachalot à deux reprises (dos et souffle), une baleine à 20 mètres de Maskali avec un plongeon nous laissant voir sa queue, et même deux dauphins de Risso nageant à la surface. Nous avons aussi croisé deux tortues et des oiseaux, même très loin de toute côte. Mais nos principaux compagnons de route sont des petites méduses appelées argonautes ; dans le jargon marin, on les appelle aussi « caravelles portugaises » car elles sont munies d’une petite voile rose et bleutée, translucide, qui leur permet de se déplacer sur l’eau. Côté pêche par contre, c’est le néant, pas une seule touche ! Au départ et durant plusieurs jours la mer était couverte d’algues qui se prenaient dans l’hameçon, et ensuite, rien de rien. Nous croiserons plusieurs bateaux, dont un catamaran à 80 milles de l’arrivée. 20 avril : nous pensions être proches de l’arrivée à cette date, Muriel aurait dû prendre son avion retour… mais Faial est encore très loin. Pour éviter le mauvais temps nous avons fait route vers le sud, ce qui fait des milles supplémentaires. Et notre vitesse de croisière dépasse rarement 5 nœuds. De nouveaux fronts de perturbation sont prévus. 2 3 avril : nous avons passé les fronts ; c’était costaud mais le soleil est de retour. 25 avril : à midi il nous reste 50 milles à parcourir, on risque d’arriver à la nuit. Deux heures après, les côtes des Açores se dessinent dans la brume, enfin la terre ! Au coucher du soleil, le Pico, volcan de l’île voisine de Faial, se dresse fièrement entre les nuages. La nuit commence à tomber et des dauphins viennent encore jouer à l’étrave. Nous nous préparons à arriver de nuit au port d’Horta. Des centaines de petits points lumineux comme des guirlandes accrochées sur la terre, les façades blanches des églises, nous y sommes ! Juste avant d’entrer dans le port, lorsque nous affalons la grand voile, le hale bas rigide lâche : il fallait bien qu’on ait un pépin au dernier moment ! Encore une réparation à prévoir. Le gardien de nuit de la marina nous fait des signes avec sa lampe : nous nous amarrons à couple de deux autres bateaux au quai d’accueil. Il est 23 h. Ca y est, nous avons gagné nos jalons de navigateurs au long cours, nous avons traversé deux fois l’Atlantique à la voile. Et ça se fête : nous ouvrons une bouteille de champagne en cherchant un vol retour pour Muriel. Pour la première fois, j’ai le sentiment d’avoir accompli quelque chose de grand, de beau, d’essentiel. Une chose qui, à priori, ne m’était pas destinée. Je le dis en toute modestie, moi qui n’ai pas vraiment le profil d’une navigatrice : pas sportive, un peu timorée, pas spécialement l’aventure chevillée au corps. Mais j’ai réussi, NOUS avons réussi car bien évidemment  nous avons accompli cela tous les six et n’aurions pas pu le faire sans l’aide des uns et des autres. Chapeau bas au capitaine bien sûr, qui a assuré, à Muriel ma grande sœur, une équipière hors pair, et à mes trois filles chéries qui ont fait leurs cours et se sont armées de patience. C’est une expérience à part, unique, inoubliable, et une aventure intérieure dont on ressort grandis.

dauphins
Nos amis les dauphins !
argonaute
Les « caravelles portugaises » nous accompagnent durant toute la traversée.
Muriel à la barre.
Muriel à la barre.
soleil
Lever de soleil sur l’Atlantique.
mer
Un grain qui arrive sur nous à grande vitesse.

19 Comments

  • You have done it ! Bravo.
    Je pensais à vous tous les jours et on essayait de vous suivre, peu après les Bermudes Barbados a fermé le site, et ensuite Jean-Pierre et Alain regardaient sur internet les vents, l’état de la mer … suivant les coordonnées reçues, Alain très inquiet car des creux de 6 mètres étaient signalés, sans doute au moment où vous avez fait cap au sud.
    Muriel aura beaucoup de choses à nous raconter demain.

    Pas de chance pour le hale bas, vous devez certainement rester à Horta plus longtemps que prévu.
    Bon repos bien mérité et très gros bisous

  • PHILIP J&J

    Nous sommes particulièrement fiers de vous !!!! c’est superbe ce que vous avez réalisé !!!!
    Nous attendions avec grande impatience les commentaires de Séverine accompagnés de clichés, qui nous font également vibrer comme si nous étions avec vous……
    Un grand Bravo au super capitaine sans oublier l’équipage, de véritables professionnels de la mer !!!!
    Ne soyez pas modestes, vous pouvez être très très fiers de cette aventure qui n’est pas encore terminée…..
    Nous pouvons encore vivre avec vous des moments de bonheur en vous accompagnant…..
    Nous vous embrassons très très très tendrement. Bravo. J&J

  • camille

    Enfin !!! Ces 17 jours m’ont parus biens long ! bravo, c’est vraiment quelque chose d’avoir fait ce tour en bateau ! Vous êtes épatants ! On se voit bientôt, si vous décidez de rentrer… 😉

  • Mamie Nicole

    J’avoue que j’ai très mal dormi pendant ces deux semaines et demie et je suis heureuse de vous savoir aux Açores ! Mais je suis vraiment admirative et fière de vous pour ce que vous avez accompli. Bravo à tous les six.
    Je pense à mes « grandes bichettes » qui ont fait leurs devoirs avec courage et à ma petite Maëlle qui devait avoir hâte de courir et gambader ! Toutes mes félicitations mes chéries, d’autant plus que vos résultats sont excellents !
    Merci à Séverine, qui, malgré la fatigue, nous fait un récit magnifique et émouvant de cette traversée de l’Atlantique.
    Merci aussi à Sébastien pour avoir pris les bonnes décisions et vous avoir amenés à bon port.
    Il reste encore un bout de chemin (enfin d’Atlantique) à parcourir ! Reposez vous et dormez avant de repartir.
    Félicitations et bises affectueuses à tous les cinq.

  • Carlota Danforth

    Very happy to hear the news!
    Congratulations for a crossing well done and a terrific description of it all.
    Hugs and kisses to all,
    Carlota

  • Isa

    Chapeau bas à tous ! Effectivement Séverine, tu peux être très fière de toi, de Seb et des filles. C’est une sacré aventure que de traverser deux fois l’Atlantique à la voile. Beaucoup n’en serait pas capable : nous les premiers 😉 ! Si votre séjour dans les Antilles était idyllique et paradisiaque (bravo encore pour tes photos et récits), les traversées ont été pour nous source d’une pointe d’inquiétude et surtout d’une profonde admiration. Extrêmement fiers de vous.
    On vous embrasse très très fort
    Isa, Pat, Luc et Lise

  • Jacqueline Bouscasse

    Super merci pour ces très bonnes nouvelles données très rapidement afin de nous rassurés.
    Bravo ! Bravo ! à vous tous.
    Notre dernier repas avec Sylvie et Alain (jusqu’à la prochaine fois…), champagne bien sûr pour arroser votre arrivée aux Açores, ensuite nous allons ensemble jusqu’à Cahors pour leur montrer le Pont Valentré et que de bisous pour se dire au revoir avant de se retrouver à Port-Leucate pour votre arrivée que nous attendons avec impatience.
    SUPER SUPER SUPER GROS GROS BISOUS à VOUS CINQ.
    Les « 3 J » et Sylvie et Alain

  • Super ! bien sur j’ai toujours pensé que vous alliez le faire sans problème parce que vous en êtes capables…
    Ce long we, je suis allé aider des amis qui viennent d’acheter un voilier (vieux Dufour 29) et après les dernières vérifs on l’a transféré du Cap d’Agde à Port Leucate. Et hier soir après une sortie on est allé boire une bière sur le quai et là, je leur ai raconté votre histoire. Et je leur ai dit qu’on aurait des nouvelles de la traversée bientôt, que vous ne deviez plus être loin des Açores… En rentrant au bateau je prends mon tél et il y avait la notif de ce post dans mon téléphone. Du coup je leur ai lu tout le texte… je crois que ça les a fait bien rêver…
    Profitez bien des Açores. Et préparez-vous pour la dernière traversée. Mais c’est à l’arrivée que ça va être le plus difficile… 🙂
    Je vous embrasse tous très fort.

  • C’est très émouvant de vous savoir de retour … Merci pour ce récit qui nous laisse imaginer votre voyage, bien irréel pour nous simples terriens.
    Tellement hâte de vous revoir !!!

  • Aurore

    Très heureux et soulagés et de vous savoir de retour !! Quelle belle aventure… On a tellement hâte de vous serrer dans nos bras !
    Bisous à toute la belle petite famille

  • Gares family

    Quel bonheur de découvrir votre message à notre retour de ce grand week-end. Nous avons simplement traversé la France en voiture (étions à Dijon), mais sur le retour, on se disait justement que vous ne devriez pas tarder !
    Bravo, félicitations, fabuleux, génial ! Quelle aventure encore ! Merci de nous la faire partager. Et quelle hâte de vous retrouver…
    Gros bisous

  • Muriel

    Merci Séverine pour ce magnifique récit, l’extraction transcription de ce que nous avons vécu à bord!
    Je vous suis très reconnaissante pour cette traversée! C’était mon rêve depuis l’âge de 13 ans, et grâce à vous, j’ai pu le réaliser! Bravo pour tout ce que vous avez accompli! Vous êtes admirables!
    Le Capitaine Seb nous a guidé avec grand professionalisme. Et toi Sev, tu as veillé sur ton équipage, aux petits soins, en cuisine par tous les temps pour nous fournir réconfort et plats chauds! Quand aux 3 moussaillones, quelle patience pendant cette traversée ! Elles ont été au bout sans jamais une plainte !
    Gros bisous! Espére que vous avez votre place à quai et trouvé un atelier pour réparer le hale bas!

  • Stephanie

    Bravo à vous ! Nous attendions avec impatience de vos nouvelles ! Des émotions à partager avec vous grâce au récit de Severine. Bon repos bien mérité !

  • Quelle joie et émotion de te lire Séverine!! Merci pour ce beau récit qui me donne la chair de poule. Tu peux être fière de TOI !!!! de vous tous, c’est merveilleux ce que vous avez vécu! Profitez bien des Açores! Bises

  • séverine

    Ouf, vous voilà arrivés sains et saufs. Même si je vous suis de loin en loin sans forcément laisser de messages, je pense à vous et je commençais à me demander si vous étiez bien arrivés. Oui, vous pouvez être fiers de vous, TU peux être fière de toi, d’avoir réussi cet exploit et de savoir si bien nous la faire partager. Profitez bien de cette halte aux Açores. je garde un merveilleux souvenir de ces îles fabuleuses et d’un coucher de soleil sur Pico depuis Faial grandiose ! (ps : fais un tour au salon de thé Casa do cha, rue de Sao Bento à Horta. C’est un salon de thé un peu caché avec un jardin magnifique et une terrasse top. On y mange très bien pour pas cher. Tu devrais adorer !) Au plaisir de te revoir vite !

  • Anne BS

    Formidable ! Oui, c’est un bel exploit ! Je pensais bien à vous ce we au Cap Ferret avec tous ces bateaux sortis sur le bassin d’Arcachon… Et je me demandais si tout se passait bien pour vous. Nous voici soulagés… Enfin, encore quelques miles à parcourir. Savourez-les… Grosses bises.

  • Antonia De Amorim

    Plus grand chose à ajouter après tous ces merveilleux commentaires qui décrivent si bien notre ressenti..YOU ARE THE CHAMPIONS…Bravo à tout l’équipage et à Maskali. Nous sommes heureux et fiers de vous avoir rencontrés, vous êtes une famille formidable.
    Encore merci pour toute l’aide et bonheur que vous nous avez donné. Espérons vous revoir bientôt par labàs…
    Gros bisous de nous 2
    A&G

  • COLIN MARINA

    J’attendais avec impatience ce récit de 2è traversée!
    Merci Séverine pour ce beau partage, sincère et émouvant,
    Je partage votre joie, votre victoire…
    Affectueusement,
    Marina

  • Laurent

    Bravo les Maskali pour cette belle traversée, et bravo aussi à Séverine pour ton écriture légère et élégante ! On espère que vous aurez le temps de marquer les murs de la marina de votre oeuvre d’Art : ce ne doit pas être les artistes motivées qui manquent dans la famille !
    Bisous à tous les cinq et un bisou spécial à Maëlle
    Laurent et Isabelle

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